ACTU | 23 novembre 2010
Par PHILIPPE BROCHEN
Il ne va pas aussi mal qu’au début des années 2000, mais ce n’est quand même pas la grande forme. Alors que tous ses albums studio remasterisés ressortent en vinyles, dans un coffret baptisé l’Intégrale (Virgin), Renaud confie sa mélancolie et une certaine résignation face à la vie et aux événements politico-sociaux dans une interview sans fard au magazine Serge.
L’occasion de saluer ici la sortie du deuxième numéro de cette élégante publication soignée tant sur le plan artistique que journalistique, qui s’intéresse à la chanson française au sens large. Le bimestriel convoque aussi bien dans ses colonnes des artistes de hip-hop (Oxmo Puccino, Abd Al Malik, Booba), d’electro (Laurent Garnier), ou encore de rock (Luke), pour des chroniques, des interviews (le genre rédactionnel préféré de la revue), portfolios soignés et autres rendez-vous décalés.
«Je baisse les bras»
Mais revenons à notre renard Renaud. Malgré l’énorme succès commercial (200.000 ventes) de Molly Malone, son dernier album dispensable de reprises de chansons traditionnelles irlandaises sorti en 2009, successeur du disque du retour Rouge Sang (2006), le chanteur l’avoue : il se sent artistiquement «tari» et «baisse les bras» devant la vie. Enfin, sa vie. Bouffé par son passé qui ne passe pas et ses excès: «J’ai 58 ans et j’ai pris des coups dans la gueule.»
La nostalgie, camarade, comme le chantait son compère Gainsbourg? Sans aucun doute possible. «C’est épuisant de passer ses jours et ses nuits à repenser à son enfance et à son adolescence. Chaque année qui passe, la nostalgie se rapproche. Je pense de plus en plus aux années 80», avoue Renaud. A ses années les plus glorieuses: Morgane de toi, en 1983 (1,5 million d’exemplaires), et Mistral gagnant en 1985 (2 millions). Avant sa lente descente aux enfers.
«Je meurs à petit feu»
Soit l’alcool. Renaud, qui avait cessé de boire par amour pour sa nouvelle femme Romane Serda, dit avoir «repiqué au truc tout doucement» ces derniers temps. Même s’il réfute toute grosse dépendance comme au début des années 2000 quand il buvait un litre de pastis par jour: «Personne ne peut se vanter de m’avoir vu en état d’ivresse depuis six ans», jure-t-il mordicus.
Il faut dire que ses voisins sont peu bavards : à la demande de sa femme, Renaud a quitté le XIVe arrondissement où il a vécu cinquante-cinq ans pour «une maison en banlieue» en face d’un cimetière, avec un marbrier comme voisin le plus proche. Chouette décor. Sa maison est «très belle, avec un jardin pour le bébé [son fils de 4 ans, ndlr]», mais il s’y ennuie: «Je m’étiole, je meurs à petit feu. Je suis loin de Paris, de mes potes, de mes petits bistrots.»
En panne d’inspiration
Sur le plan artistique, Renaud le confesse sans détours: «Je ne sors plus de disques car je suis en panne d’inspiration. Je n’ai pas écrit de chansons originales depuis quatre ans. C’est un peu frustrant. Et, sur scène, étant donné ma voix qui se détériore, je n’ai plus tellement envie de chanter.»
Il se sait pourtant aimé, le «chanteur énervant», son surnom hérité le siècle dernier. «Tous les jours, je reçois des témoignages des gens qui m’aiment et me disent que je leur manque. Je leur réponds: «Qu’est ce qui vous manque: ma voix pourrie qui se désagrège d’année en année?»
Alors que l’époque actuelle devrait lui inspirer des textes, il n’y parvient pas – plus. «Chaque jour, des sujets d’actualité me mettent en colère et pourraient me donner des idées de chansons.» Mais rien ne sort. «Commenter ce monde, le critiquer, me paraît totalement futile aujourd’hui.» C’est dire son niveau de déprime. Et de juger, en regard des mouvements sociaux de ces derniers temps: «C’est encourageant de voir que tout le monde ne baisse pas les bras comme moi.»
«Serge», décembre2010/janvier 2011, 5 euros.
Source : Libération