Pierre-Etienne Minonzio
mis à jour le 26 novembre 2023 à 03h30
Renaud, l’auteur de « Mistral Gagnant », sur le point de sortir un nouvel album, revient sur son rapport intense au football et sa tendance à s’attacher à différents clubs.
Il nous est apparu tel qu’on l’imaginait, tel qu’on le craignait aussi, à la fois légendaire et immensément fragile. Mi-novembre, dans un restaurant du VIe arrondissement de Paris, on a causé football pendant une demi-heure avec Renaud, le paradoxe fait homme, assis sur une banquette avec l’allure avachie de celui qui souhaite se faire oublier, tout en s’affichant avec un blouson teddy rouge vif. Parce qu’il a toujours été timide, et parce que des années d’excès ont abîmé sa voix, l’auteur-compositeur de 71 ans – que son ami l’acteur Jean-Paul Rouve décrit comme « le plus tendre des révoltés » –, s’exprime désormais avec difficulté, mais ses paroles ont conservé leur acuité.
Alors qu’il sort un nouvel album vendredi prochain (voir par ailleurs), Renaud a donc accepté de parler de son attachement au ballon rond, qu’il a été l’un des tout premiers chanteurs français à revendiquer dans ses compositions. Via la tendre Chanson pour Pierrot (1979), dans laquelle il s’adresse à un fils imaginaire (« On jouera au football, on ira au bistrot »), mais surtout via J’ai raté Télé-foot (1980), une ode hilarante au magazine dominical de la première chaîne. « J’avais hésité avant de sortir cc morceau parce que je craignais de passer pour un beauf, confie-t-il. À l’époque, je pouvais écrire des chansons fantaisistes, ce que je ne sais plus faire. »
« J’adore la ferveur populaire qu’on ressent dans un stade, quel qu’il soit. Je peux y crier ce que je veux, personne ne fait attention à moi »
RENAUD
Si le « Phénix », tel qu’il est surnommé aujourd’hui, a donc vanté les mérites divertissants du foot, il en a aussi pointé les multiples dérives. Dans Miss Maggie (1985), puis dans Sentimentale mon cul (2006), Renaud s’en est ainsi pris aux hooligans et a souligné, avec ironie et en patois marseillais, dans À la Belle de Mai (1994), la chance qu’aurait provoquée Bernard Tapie lorsqu’il était le patron de l’OM (« Ave le cul, ma foi un peu bordé d’anchois, il a fait des Phocéens européens »). « C’est un tacle gentil, je l’aimais bien Tapie », estime-t-il avec le recul. Au cours de la conversation. son regard se perd parfois, figé dans des souvenirs, lorsqu’on évoque ces années 1980 qu’il a survolées de sa classe revêche, prenant alors des engagements sociétaux et politiques qu’il aura parfois du mal à tenir ensuite, lui qui a par exemple longtemps scandé en concert : « J’aime pas le travail, la justice et l’armée » (extrait de Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ?, 1980) pour finalement chanter, en 2016, dans un hommage aux victimes des attentats de janvier 2015, J’ai embrassé un flic.
Dans sa relation au football, Renaud a d’ailleurs aussi fait preuve d’un certain manque de cohérence, au point de se présenter comme un fervent supporter d’une demi-douzaine de clubs, au gré de ses envies, de ses rencontres ou de ses déménagements. « C’est ma vie de blaireau », lâche le chanteur avec un léger sourire lorsqu’on l’interroge sur sa capacité à se greffer en tribune à différente groupes de fans : « J’adore la ferveur populaire qu’on ressent dans un stade, quel qu’il soit. Je peux y crier ce que je veux, personne ne fait attention à moi. Ni vu, ni connu, je m ‘en fous… J’ai assisté par exemple à la finale de la Coupe de France 1982. PSG – Saint-Étienne (2-2, 6-5 aux t.a.b.), au Parc, en passant le match à hurler « Parisiens têtes de chiens ! » (il rit doucement). J’ai même participé à un envahissement du terrain à la fin de la rencontre… Un vrai blaireau quoi ! » On l’aura compris, son premier club de cœur a été l’AS Saint-Étienne.
« J’ai été bercé par les épopées européennes des Verts entre 1975 et 1977. Il faut dire aussi que ma petite sœur vit là-bas et que mon grand-père Oscar, après avoir été mineur, y a travaillé comme ouvrier. »
Lui qui a célébré Geoffroy-Guichard, décrit comme « l’enfer vert immaculé » dans Ma chanson leur a pas plu (1983), n’a néanmoins jamais assisté à une rencontre dans celle enceinte. Plus étonnant encore, cette brève publiée dans L’Équipe, le 12 juin 1984 : « Invité de l’émission Studio 1 qu’anime Michel Drucker sur Europe 1, Renaud a avoué qu’il était un fervent supporter du Stade Lavallois. » On fait part d’une certaine incompréhension à l’intéressé qui, après avoir inspiré dans sa vapoteuse, répond : « J’ai toujours apprécié les petits clubs qui ont moins de moyens mais qui obtiennent des résultats. Après ma sortie dans l’émission de Drucker, Laval avait publié un communiqué pour dire que j’étais invité à vie dans leur stade. Mais je dois avouer que je n’y suis pas allé. »
Un hymne officieux pour Anderlecht
Ses amours volages l’amèneront ensuite à encourager Anderlecht pour qui il va composer un hymne engageant, Allez les Mauves, qu’il n’a jamais enregistré mais seulement interprété en 1986 pour la RTBF : « Je passais alors beaucoup de temps à Bruxelles, j’étais ami avec une famille dont la fille, âgée de 12ans, jouait à Anderlecht. » Suivront les années 1990, dominées par une passion duale, ainsi résumée dans le titre Mon Amoureux (1994) où Renaud fait dire à sa fille, à propos de son bien-aimé : « En Championnat, il aime que Lens et Marseille, comme toi. »
►► Renaud devient un mordu de l’OM après avoir acheté, il y a une trentaine d’années, une bâtisse à L’Isle-sur-la-Sorgue, dans le Vaucluse, à 80 kilomètres de la cité phocéenne. « Un de mes voisins est fan de l’OM et il m’a vite entraîné au Vélodrome. J’ai assisté à presque tous les matches à domicile en Coupe d’Europe, lors de la saison 1992-1993. J’étais accueilli par les South Winners et j’ai continué à voir des rencontres avec eux quand le club était en D2 (entre 1994 et 1996). » Il garde d’excellents souvenirs de cette période, mais aussi une belle frayeur. « Après une demi-finale de Coupe de France perdue contre Auxerre (1-1, 1-3 aux t.a.b., le 13 avril 1996), j’ai été interviewé par Marianne Mako, de TF1, dans les coursives du Vélodrome. En la voyant, des hooligans ont commencé à crier des slogans anti-Parisiens et à nous jeter des cailloux. On s’est barrés en courant… »
Parallèlement, Renaud a développé une relation fusionnelle avec le RC Lens, en partie initiée pendant le tournage dans le Nord du film Germinal (1993) de Claude Berri. Alors que « le chanteur énervant » – un autre de ses surnoms – tenait l’un des rôles principaux, il a passé beaucoup de temps avec les figurants, dont la plupart étaient des amoureux des Sang et Or. « Le public de Bollaert m’a souvent rendu hommage, en reprenant la mélodie de la Ballade Nord-Irlandaise (1991) ou en inventant un chant sur l’air d’Hexagone (1975). Ils ont aussi déployé un tifo récemment avec un grand portrait de moi en mineur. J’ai vu et entendu tout ça, et j’en ai été très touché… », souffle Renaud, qui sur un coup de tête, a décidé. l’an dernier, d’assister à la rencontre Lens – Lyon (1 -0, le 2 octobre 2022). «J’ai adoré la reprise des Corons à la mi-temps. J’aurais bien voulu écrire ce titre, je sms un peu jaloux (de Pierre Bachelet)… Je retournerai à Lens s’ils prolongent leur parcours en Coupe d’Europe cette saison », balance-t-il d’un ton bravache avant de reprendre un verre d’eau gazeuse (il a indiqué au Parisien en avril dernier avoir « arrêté l’alcool il y a deux ans et demi »).
« Mes clubs de cœur, je dirais que ça reste Lens et l’OM définitivement, mais j’ai une tendresse pour Nantes »
RENAUD
Notre échange rebondit sur un vieil article de France Football qui indiquait que Renaud avait donné le coup d’envoi du match de D2 disputé au Stade de France. Red Star – Saint-Étienne (1-2), le 10 mars 1999, en tant que… « nouveau président du club des supporters du Red Star ». Une fois de plus, on lui témoigne de notre étonnement. «Ah oui, Étienne Roda-Gil (le parolier de Julien Clerc. Vanessa Paradis…) m’avait initié à ce club. Mais ça n’a pas duré. » Pas plus que n’a duré sa passade avec Arsenal, lorsqu’il habitait à Londres au milieu des années 2000, ou avec Arles-Avignon lors de la montée du club en Ligue 1, en 2010. « Ils jouaient (au Parc des Sports d’Avignon) pas loin de ma maison à L’Isle-sur-la-Sorgue… J’aimais bien les encourager d’autant qu’un de leurs joueurs (le défenseur Romain Reynaud) était fan de ma musique. Et il est venu plusieurs fois à la maison. C’est aussi à ce moment-là que j’ai rencontré « Paga » (Laurent Paganelli, l’homme de terrain de Canal+, qui réside à Avignon), qui est devenu un ami. »
La carte du tendre footballistique de Renaud s’est récemment enrichie d’un nouveau point d’ancrage, la Beaujoire. Il s’y est rendu à trois reprises ces derniers mois, parce qu’il habite désormais avec sa nouvelle compagne à Trentemoult, un ancien village de pêcheurs, tout proche de Nantes. « La Beaujoire, c’est une ambiance terrible, l’une des plus belles de France, notamment lors des matches de Coupe d’Europe. Mes clubs de cœur, je dirais que ça reste Lens et l’OM définitivement, mais j’ai une tendresse pour Nantes. » Alors que notre entretien touche à sa fin, on lui demande si sa tendance à la polygamie concernant les clubs reflète plus globalement son caractère à la fois passionné et changeant qui l’a vu. au cours de sa carrière, régulièrement varier ses centres d’intérêt, ses cadres de vie et ses entourages. « Peut-être qu’il y a de ça », murmure-t-il, révélant ainsi ce nouveau paradoxe : il n’y a pas plus pudique que cet artiste qui, depuis près de cinquante ans, livre ses états d’âme en musique. Et pas plus amoureux du football que ce supporter volatil.
Une chanson à la gloire de Mbappé ?
Vendredi prochain, Renaud sort Dans mes cordes (Parlophone, photo). où il revisite ses plus belles chansons, accompagné d’un double quatuor à cordes. Un disque que le « chanteur énervant » défend en ce moment dans une tournée à travers la France, qui passera notamment les 20 et 21 décembre à la Salle Pleyel à Paris, et qu’il prolongera en août prochain au Canada. Par ailleurs, il continue de travailler sur de nouvelles compositions et l’une d’elles devrait faire référence à Kylian Mbappé. « C’est mon idole. nous a-t-il indiqué. Il a la classe et il s’exprime très bien, ce qui est rare pour un footballeur. Je regarde à la tété ses matches de Coupe d’Europe avec le PSG. Et il m’a beaucoup impressionné lors de la finale de la dernière Coupe du monde, que j’avais suivie chez (Pascal) Obispo. Je vais le citer dans une prochaine chanson… » P.-E. M.