Renaud la teigne

VSD

N° 441, du 13 au 19 février 1986

Quelques jours avant de monter sur la scène du Zénith et à un mois des élections législatives, le chanteur s’expli­que sur sa chanson anti-Thatcher, parle de ses amitiés à gauche, de l’opposition… et de son contrat de 1,8 mil­liard de centimes avec sa nouvelle maison de disques.

CLAUDE GASSIAN

Il y a quelques années, dans une chanson, vous vous en preniez à « VSD » ! Aujourd’hui, vous nous recevez sans rechigner. Est-ce nous qui avons changé, ou bien êtes-vous différent ?

Je me souviens des paroles de cette chanson. C’était Mon Beauf’. D’ailleurs, je vous mettais dans le même sac que Paris-Match et Télé 7 Jours ! À l’époque, pour moi, VSD correspondait à une clientèle, à un état d’esprit, à des éditoriaux dont je n’étais pas franchement friand. C’était effectivement un peu « beauf », un peu « cucu », un peu de droite aussi… Mais à présent, quand je lis Le Figaro-Magazine, je vous trouve carrément de gauche !

Justement dans votre dernier disque, vous ironiser sur les lecteurs du « Figaro »…

Là encore, c’est symbolique ! Le Figaro symbolise la droite, tout ce que je n’aime pas…

La politique vous passionne ?

Elle m’écœure, elle me dégoûte, mais c’est sans doute pour ça qu’elle me passionne…

Avez-vous des amis parmi les hommes politiques ?

Non ! A moins que vous ne considériez Coluche comme un homme politique !

C’est parce que vous n’aimez pas les gens de droite que vous avez insulté Margaret Thatcher dans l’une de vos dernières chansons ?

Elle serait un homme, et de gauche, ce serait pareil !

Pourquoi vous en prendre à elle ? La politique française ne vous suffit pas ?

Il se trouve que je suis également concerné par ses actes ; en tant que citoyen européen, j’ai mon mot à dire sur sa politique… Dans ma chanson, effectivement, je n’explique pas pourquoi je ne l’aime pas…

Alors, que lui reprochez-vous ?

Son intolérance, sa politique guerrière pour préserver un morceau de caillou au large de l’Argentine, sa politique sur l’immigration, son attitude vis-à-vis des membres de l’IRA auxquels elle refuse le statut de prisonniers politiques, son attitude encore vis-à-vis des mineurs en grève qu’elle a laissés crever pendant un an, sa politique sociale, économique, sa préférence à voir les jeunes se défouler violemment dans les tribunes d’un stade de foot plutôt que dans les rues des ghettos…

A votre avis, elle a favorisé le hooliganisme ?

Oui ! Elle et son gouvernement en sont directement responsables ! Qu’on donne aux hooligans du travail et des loisirs et ils auront une perspective d’avenir beaucoup plus large que le bout de la rue ou de la canette de bière ! Indéniablement, Thatcher a beaucoup plus de choses à se reprocher que Mitterrand… et même que Giscard ! Et de plus, c’est une femme ! D’un homme à la tête de dictature on s’attend à tout, et au pire ! D’une femme dirigeant une démocratie, on s’attend à tout, sauf à ça ! On s’attend, au contraire, à davantage de tendresse, de tolérance, d’ouverture d’esprit. Mais le pouvoir corrompt ! Et il n’est peut-être pas fait pour les femmes ! Car, pour une Indira Gandhi, combien de Catherine de Russie, de Catherine de Médicis, de Jeanne d’Arc ?… Je persiste à croire que les femmes sont plus pacifistes que les hommes, sauf quand elles accèdent au pouvoir !

Selon vous, il faudrait leur interdire ?

Elles ne savent sûrement pas l’utiliser, mais il ne faut pas interdire aux femmes de faire de la politique. Au contraire, je suis ravi qu’il y ait des Edith Cresson, des Georgina Dufoix, des Marie-France Garaud, des Simone Veil…

Est-ce que des partis politiques vous ont contacté pour les soutenir, pour faire des galas ?

Oui ! Les Verts ! Ils m’ont proposé de produire une partie de ma tournée en pensant, à juste titre, que j’étais assez proche des préoccupations des écologistes.

Et vous avez accepté ?

Non ! Parce que c’est tout de même un parti politique… Maigre tout, il y aura dans ma tournée quelques galas qui seront organisés dans le cadre de festivals écologistes ou dans des fêtes du PC…

Chanter pour les communistes, c’est tout de même une évidente forme d’engagement ?

Je ne m’engage pas forcément pour eux ! Mais c’est quand même une façon de dire que je ne suis pas franchement contre eux ! Malgré toutes les critiques que j’émets à leur égard, avec tout ce que je considère comme vieillot, désuet, dérisoire et dépassé dans leurs projets, je considère que les communistes ont les propositions politi­ques les plus intéressantes et les plus honnêtes en ce qui concerne les couches sociales les plus défavorisées.

Alors, vous votez pour eux ?

Non !

Vous voterez le 16 mars ?

J’ai bien peur que non !

Vous n’avez jamais voté auparavant ?

J’ai dit que je n’allais pas voter ? C’est faux ! Oui, je crois que je vais voter ! Mes tripes ont répondu avant ma tête ! Et quand je laisse parler mes tripes, je dis que je ne vote pas, que je suis « anar »… Mais quand je réfléchis un peu, je me dis que j’irai quand même, ne serait-ce que pour empêcher les autres revenir ! Déjà pour ça ! Mais c’est très indiscret tout ça… Maintenant vous savez pour qui je vais voter !

Vous n’êtes pas franchement en total désaccord avec la politique socialiste ?

Je n’ai ni haine ni mépris. Ce qui me déplaît chez eux, c’est l‘incompétence et la maladresse. Mais c’est toujours mieux que la malhonnêteté et l’hypocrisie ! Ce qui m’a déplu, depuis quatre ans, ce sont les promesses non tenues sur le nucléaire ou l’armée, l’affaire Greenpeace ou la mort « accidentelle » du leader indépendantiste canaque Eloi Machoro… Comment ont-ils pu inventer ça ?

CLAUDE GASSIAN

Vous chanterez pour le PS ?

Ils ne me le demandent pas !

Vous aimez Mitterrand ?

Ah, oui ! pas vous ?

Ce n’est pas la question !

Oui, je le trouve fascinant. C’est un roi, un sphynx, pour reprendre l’expression de Depardieu. Et puis il a un petit côté machiavélique qui me séduit, qui me laisse aussi quelquefois pantois ! Je crois également qu’il est d’une grande bonté… bien que ce ne soit peut-être pas le mot juste ! Dison qu’il fait preuve d’une générosité dans ses idées !

Qu’est-ce qui vous rebue dans la droite ?

J’ai pas envie de les revoir, pas envie de les avoir dans ma soupe tous les soirs à la tété. Chez moi, c’est viscéral, congénital, héréditaire. Dès l’âge de 10 ans, au contact de mes parents, je savais déjà que les bons c’étaient les autres… ceux de la gauche, de l’opposition… à l’époque, c’était déjà Mitterrand… la SFIO… la FGDS ! Je n’ai pas confiance dans les gens de droite… quoique certains aient l’air maintenant moins stupides, moins malhonnêtes, plus crédibles…

A qui pensez-vous ?

Je pense à Léotard, à Toubon, qui changent un peu de vieux bonzes ! Je sens, chez eux, un poil de respect des droits de l’homme en plus ! Des mecs comme Stasi me paraissent aussi assez intéressants !

Vous vous sentiriez une âme de militant ?

Si militer c’est distribuer des tracts à 6 heures du matin à la sortie du métro… je l’ai déjà fait quand j’avais 16 ans ! Mais aujourd’hui, j’espère qu’on croit aussi à ma sincérité quand je dis que je m’intéresse au sort des chômeurs, des gens qui luttent, qui souffrent, qui crèvent de faim…

A ce propos, vous vous êtes beaucoup montre récemment pour la défense des bonnes causes…

Si je ne me montre pas, je passe pour un enfoiré ! Si je me montre trop, je passe pour une pute ! Alors…

En dehors de « Chanteurs sans frontières », faites-vous des dons anonymes ? Vous avez vos propres pauvres ?

Oui, en quelque sorte ! Je me suis fixé des priorités, des objectifs. J’envoie tous les ans un chèque à une fondation humanitaire ou spécialisée dans la recherche médicale. J’ai arbitraire­ment choisi ! C’est tout de même agréable de jouer les Père Noël avec les gens qu’on aime et qui en ont besoin ! Mais ce n’est pas pour cela que je suis sur tous les fronts de la solidarité ou de la charité. Si j’acceptais toutes fa sollicitations qu’on me fait, je devrais donner pour le SIDA, les taulards, l’apartheid, les handicapés, les délinquants, le cancer… et j’en passe !

Pourtant vous devez en avoir les moyens ! On a prétendu que vous aviez signé récemment un contrat du siècle avec Virgin, votre nouvelle mai­son de disques…

Le fameux contrat du siècle ! On en a beaucoup plus parlé que des dix ans que j’ai passés dans mon ancienne maison de disque où j’avais un contrat digne de figurer dans un tribunal des droits de l’homme ou au rang des injustices flagrantes…

C’était chez Polydor ?

Oui ! En dix ans, ce contrat n’a jamais été réé­valué, rajusté ; et quand j’ai commencé à vendre une moyenne de 600 000 exemplaires par album, je touchais aussi peu qu’un débutant. Pendant ce temps-là, ma maison de disques faisait des profits énormes. Avec mon succès, je touchais seulement 1,67 franc par album vendu…

On parle d’un contrat de 2 milliards de centimes. C’est exact ?

C’est un peu moins ! Ce chiffre a été « balancé » par une maison de disques concur­rente, déçue que je n’aie pas signé chez elle. Pour se venger, pour me dévaloriser aux yeux de mon public ! Et ça m’a fait du tort… je m’en aperçois en lisant mon courrier : « Enfoiré ! Espèce de bourgeois… avec tous tes milliards… »

Alors, 2 milliards de centimes ? Oui ou non ?

En fait, il s’agit de 1,8 milliard de garantie sur quatre albums ! A raison d’un disque tous les deux ans… ça fait à peu près… 220 briques par an, sur lesquelles il faut déjà déduire les frais d’enregistrement et de fabrication de mes dis­ques, car je suis moi-même producteur… En ce qui me concerne, un disque revient à 100 ou 150 briques ! Voilà qui ramène les choses à des proportions plus humaines. En aucun cas, je ne suis parti avec une valise remplie de 2 milliards en petites coupures, en échange d’une signature qui me ligotait à Virgin !

Vous avez dû faire des tas de jaloux ?

J’ai quelques informateurs, quelques indica­teurs qui me donnent un peu la tendance des pro­pos que l’on tient à mon sujet dans les salons, les studios ou les « restos » que fréquente le show-biz… et ce n’est pas aussi élogieux qu’il y a qua­tre ou cinq ans… quand je commençais à « cartonner » !

Que vous reproche-t-on à présent ?

Ma vulgarité, la facilité de mes textes, mon attitude. Aujourd’hui, j’ai tous les défauts : je suis radin, menteur, pas sincère, j’ai le cul bordé de nouilles et je vends mes disques sur prescrip­tion du PC… A la limite, il n’y a guère que ces critiques qui m’amusent ! J’aime susciter de tel­les réactions… Faire chier le monde !

Recueilli par Didier Vallée

  

Source : VSD