Renaud : La tendresse

Confidences

N° 1409, 26 décembre 1985

Renaud : La tendresse

Il n’aime pas son nez de profil, déménage parce que sa collection de B.D. a fini par lui « bouffer la place », s’étonne de son bonheur…

Ni loubard, ni gosse de riches devenu belliqueux… Renaud est tout simplement un prolétaire engagé, ou plutôt, comme il se définit lui-même : « un peintre pas trop mauvais de la réalité quotidienne ». Un musicien habile du pinceau et des couleurs bien utilisées permettent à faire de son style, un style Renaud, inimitable, parce qu’il ne laisse jamais rien vraiment au hasard :

– J’écris des paroles qui touchent ou qui font rire… en tout cas, qui intéressent, et j’y mets une musique chouette. Mes chansons n’appartiennent qu’à moi, et j’ai la prétention de croire que si quelqu’un d’autre que moi les chantait, le public reconnaîtrait toujours « Renaud ».

Sensible, généreux et visiblement épanoui, le chanteur des « p’tits artistes » et des « potes » est aussi un homme vraiment cultivé. Son image contraste avec ses propos, et pourtant elle fait aussi partie de lui. Les cheveux qui pendent décolérés à mi-hauteur, le foulard rouge autour du cou… c’est en fait la panoplie du chanteur engagé qui sait qu’en lui, le public se reconnait…

– On peut rêver, dit-il, moi je ne peux pas vivre sans ouvrir ma gueule. Il faut lutter, même s’il est évident que l’injustice régnera toujours !

Renaud est fort bien placé pour le savoir. En effet, son propre succès lui semble démesuré, et l’encombre en fin de compte :

– J’ai une vision très chrétienne de mon succès, avoue-t-il. Quelque fois, j’ai l’impression qu’une bonne étoile, arbitrairement, a décidé de faire de moi un homme heureux. Je n’ai jamais vraiment travaillé pour mériter cela. Je n’ai jamais été pauvre. Même quand je gagnais plus modestement ma vie, et j’ai terriblement peur de payer cette chance un jour ! Je suis obsédé par l’idée du cancer, de l’accident, ou de l’attentat, que sais-je encore ?

Peu nombreux sont, en effet, les chanteurs qui ont atteint une telle popularité en chantant les aberrations et les horreurs de la société. Renaud, de ce point de vue, fait même figure de proue. Dans son dernier album « Mistral gagnant », il n’hésite pas, par exemple, à s’en prendre directement à des responsables, madame Thatcher par exemple…

– Devant les « grands » de ce monde, on est toujours démuni, explique-t-il. J’utilise l’impertinence pour me défendre. J’aime « asticoter » ceux qui dirigent : les présidents, les armées, les dictateurs… J’ai des degrés de préférence, mais je serai toujours du côté du social !

L’avenir, Renaud y pense avec pessimisme. le nucléaire, « le cancer du monde » (sic) est pour lui une certitude. Tous les matins, il parcourt la presse…

– C’est du masochisme, dit-il,

… Mais c’est aussi le moteur de mon inspiration. Pour lui donner forme, cependant, il a besoin de sa famille. C’est auprès de Dominique, sa « gonzesse » et de Lolita, sa petite fille maintenant âgée de 5 ans, qu’il trouve le recul nécessaire à l’analyse :

– Je discute souvent avec ma femme de ce qui me préoccupe, et des chansons que j’ai envie d’écrire. elle m’aide beaucoup à y voir clair. C’est grâce à elle que j’ai pu écrire « Miss Maggie » par exemple !

Chez lui, tout « baigne », comme il dit, presque en s’excusant :

– Je suis tellement heureux que s’en est presque gênant. C’est vrai, nous vivons dans une époque où tant de familles sont malheureuses !

Renaud, pourtant, ne cache pas que vivre à deux (il avoue n’avoir pas toujours bon caractère !), c’est un pari bien difficile :

– Mais ma femme sait me faire redescendre sur terre. Elle sait très bien me rappeler et me faire sentir qu’elle est aussi indispensable que moi. C’est vrai, pour qu’un couple marche, il faut être deux à le vouloir et avant tout, lutter !

Pour l’amour de Lolita, Renaud est prêt à se battre. Elle fait son adoration. Tous les soirs, il lui fait la lecture de « Babar » pour qu’elle s’endorme et rêve à ses chaussures de danse ou à un cornet de glace marron…

– Ce qui est essentiel pour moi, dit Renaud, c’est qu’elle arrive à faire ce qu’elle aura réellement envie de faire plus tard !

Renaud coulisses, Renaud sur scène ; avec sa femme Dominique, avec de jeunes chanteurs à la Courneuve, ou avec des stars comme France Gall, Daniel Balavoine, (au cours du concert donné pour l’Éthiopie), c’est toujours Renaud-la-tendresse…

Liberté, indépendance, tolérance, ce sont précisément les maître-mots du chanteur. Car pour lui, ils représentent la conditions sine-qua-non du bonheur et de la joie de vivre :

– L’amitié, c’est un bon exemple. C’est un trésor très difficile à conserver, surtout pour moi car j’ai tendance à être possessif et aussi teigneux qu’en amour, or il faut savoir rester franc et ouvert avec ses amis, ni lâche, ni démago.

IL PARLE ARGOT AVEC UN ‘A’ COMME AMOUR

Mais c’est plus souvent en face de lui que le jeu est faussé, parce que, di Renaud, les potes n’iront pas contrarier la vedette :

– Les gens qui m’entourent osent de moins en moins me dire ce qu’ils pensent. Parfois il m’arrive, comme à tout le monde, d’être odieux… et personne ne fait de remarques ! C’est ce qui est le plus gênant dans le succès, ça fausse les rapports !

Renaud se retrouve souvent seul, à l’heure des grands choix et des décisions importantes. Pas vraiment pourtant, puisque par tempérament, il est plutôt homme à forcer la nature et à engager les gros paris. Il déteste se contenter de l’acquis. C’est pour cela qu’il se prépare, du 25 février au 25 mars prochain, à affronter le grande scène du Zénith, à Paris… Un pari fou, dit-il. Ce qui le force à courir ainsi, à foncer tous azimuts ? La nécessité de vieillir sans s’en apercevoir, peut-être…

– La mort et la maladie me terrifient ! L’âge ? c’est subjectif. Je pense que l’on peut rester jeune à 33 ans, comme Jean Marais pas exemple… main attendre la mort ?… j’ai ai une trouille bleue ! J’en ai tellement peur, que je pressé de vieillir !

Peur de mourir à 35 berges, voilà une idée bien saugrenue d’autant qu’elle s’accompagne d’une idée déjà précise de sa prospérité. Deviner un peu l’image qu’il veut laisser ?

– Celle de James Dean (le révolté) ou de Rimbaud… parce que c’est un génie qui fut méprisé de son vivant !

Une bien heureuse combinaison, certes. À moins qu’il ne laisse simplement l’image de Renaud.

Katryn MALVAES

  

Source : Confidences