Samedi 14 janvier 1989
Il entreprend une tournée de 11 villes québécoise
Philippe Zeller
MONTREAL
Presse canadienne
Le chanteur français Renaud, à l’aube d’une tournée de 17 spectacles dans 11 villes du Québec ainsi qu’à Ottawa, s’est dit inquiet pour l’avenir de la langue française dans le monde, et principalement au Québec, en conférence de presse hier à Montréal.
« Si vous ne demeurez pas vigilants, beaucoup se chargeront de faire diminuer l’influence de la langue française, jusqu’à l’éliminer totalement », a déclaré Renaud, le cheveu long et blond, à l’occasion d’une rare apparition devant les membres de la presse. Un peu malgré lui.
« On ne m’a laissé le choix », a-t-il lancé, expliquant que la conférence était la première de sa vie.
Timide, gêné et visiblement intimidé par la meute de journalistes réunie dans une salle bondée d’un hôtel du centre ville montréalais, le chanteur s’est quand même prêté de bonne grâce au jeu. Il devait même, a-t-il semblé, finalement y prendre plaisir.
« Je n’ai pas réponse à tout », a-t-il toutefois prévenu son auditoire. Ce qui ne l’a pas empêché de se prononcer, sans prétention, sur tout et sur rien. La musique, ses contradictions et, bien sûr, la question linguistique.
« En France, nous sommes aussi victimes de l’impérialisme linguistique, culturel, économique américain; mais ça ne crée pas un débat national, a-t-il déclaré. Notre langue n’est pas en danger autant qu’ici ».
Pollution plutôt que langue
Du coup, il se dit moins préoccupé par la question de la langue que par le danger croissant de la pollution, faisant même référence au « mini Tchernobyl » survenu à Saint-Basile-le-Grand l’automne dernier.
« Ça me semble plus fondamental pour la défense de l’homme », a-t-il expliqué, répétant néanmoins qu’il demeure « un farouche défenseur de l’esprit de la Loi 101 », tout en n’étant « pas insensible à la minorité anglo-québécoise ».
Loi 101, pollution, apartheid (la chanson « Jonathan » sur son dernier disque, « Putain de camion »), Renaud, enfant de Mai 1968, est de toutes les causes.
Pourtant, ses dénigreurs estiment son implication sociale moins importante qu’auparavant. A ceux-ci, le chanteur répond: « Ils s’impliquent beaucoup, eux? ».
Il admet quand même qu’il a « envie de gueuler moins fort » qu’autrefois. « J’ai 15 ans de plus et je suis parfois désabusé. Je n’ai plus envie de crier dans le désert, j’ai parfois l’impression que ça ne sert à rien ».
D’ailleurs, il n’hésite pas à admettre qu’il éprouve de la difficulté à faire des « chansons de révolte » qui deviennent « un produit qu’il faut vendre ». Plus encore, cette contradiction « m’empêche de dormir ».
De plus, il estime qu’ « une petite chanson d’amour entre un papa et son enfant peut faire plus de bien aux gens ».
D’enfants il sera d’ailleurs question. Surtout de sa fille, Lolita, qui lui a inspiré la pièce « Me jette pas ». Pas étonnant donc que de ses propres chansons, celles parlant de l’enfance soient celles qu’il préfère. De musique, il parlera également, longuement. « Je suis auteur parce que c’est pour moi un réel plaisir d’écrire des idées, des émotions, des sentiments, des états d’âme ».
« Je suis compositeur par besoin, car pour faire passer ces mots et ces écritures, je me sers d’un véhicule qui est la musique ».
Enfin, « je suis interprète par provocation, car j’aime bien provoquer les gens, leurs émotions ou leur révolte ». « Ceux que j’aime, et surtout les autres », précisera-t-il par la suite.
Il parlera également de chanson québécoise, citant Michel Rivard et Richard Séguin, écorchant Mitsou au passage. « Je sais que Mitsou a beaucoup de succès et que Séguin a beaucoup de talent ».
De son succès au Québec, celui qui se proclame « chanteur franco-québécois ‘chiant’, énervant et impertinent » se dit étonné. « On m’avait prédit un échec total ».
Renaud, accompagné de ses huit musiciens, aura à nouveau l’occasion de tester sa « cote » à Amos (le 14 janvier), Val d’Or (le 16), Rouyn (le 17), Québec (les 19 et 20), Chicoutimi (le 22), Montréal (du 24 au 28), et Ottawa (le 31). La tournée se poursuivra en février à Sherbrooke (le 1er), Trois-Rivières (le 2), Joliette (le 3), Valleyfield (le 4), et enfin Laval (le 4).
Et déjà, il nous promet presque d’être de retour l’été prochain, à l’occasion des festivals de la saison.
Autre promesse, son prochain disque sera plus accoustique, plus « cool » (« deux guitares accoustiques et un violon »). Un retour à ses premières amours, en quelque sorte.
Source : La Voix de l’Est