Renaud : sous l’armure de cuir, bat un petit cœur tout bleu (*)

L’Avenir du Luxembourg

Mercredi 21 décembre 1983

Les mauvaises langues racontent que Renaud est un faux loubard, Ce serait un poseur du 16e arrondissement qui n’a jamais connu la zone et les HLM. Son vocabulaire et son blouson ne seraient que les accessoires d’une pose savamment calculée. Et ses expressions : « ouais », « super », « j’te raconte pas », « la honte », « laisse-béton »… c’est quand même fran­chement démodé. Mais tout ça, c’est des histoires racontées par des mauvaises langues. Renaud est de retour (deux ans après « Marche à l’ombre ») avec un superbe nouvel album : « Morgane de toi ».

— Il y a quelques années, tu ne cachais pas ton aversion pour les chanteurs français qui allaient enregistrer aux USA. Aujourd’hui, tu reviens de Los Angeles avec ton nouvel album sous le bras…

— Ouais, mais y’a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Et puis, Los Angeles, c’est marrant et ça fait bien sur une pochette. Ma maison de disque m’a offert le voyage et j’ai sauté sur l’occasion. Cela dit, j’y suis resté cinq semaines et je ne crois pas que j’y retournerai. Là-bas, les musiciens de studio sont de vrais bureaucrates. Ils ne sont pas du tout concernés par leur travail. A la fin d’une session, ils se tirent parce que c’est l’heure et se foulent de savoir si ta prise de son est bonne.

— Il parait que tu avals emmené ton accordéoniste…

— Evidemment ! Les Ricains, ils ne connaissent rien à l’accor­déon. Ils ont l’accordéon cajun, le bandonéon, mais pas le vrai musette.

— Tu y as quand même rencontré Albert Lee qui a fait quelques pickings sur deux titres de l’album !

— C’est un copain du producteur, il passait par hasard. Quand je suis rentré à Paris, des copains m’ont dit : ouais, super ! T’as Albert Lee sur Ion album ! Mais moi. je savais même pas qui c’était.

— Un tiers de tes albums ont été enregistrés en public. C’est assez rare dans une discographie.

— Une chanson existe toujours en deux versions : une version studio et une version live. L’interprétation et les arrangements sont différents. C’est la version « scène » que je préfère. C’est pour ça que j’ai voulu la mettre sur disque,

— La photo-pochette de « Morgane de toi » a été réalisée par ton frère ?

— Ouais. Il était venu avec nous aux USA. Au départ, c’est une photo de famille : moi et ma fille, Lolita. Comme elle me plaisait, je l’ai retenue pour la pochette de l’album. En fait, mon frangin est photographe dans la recherche scientifique. De temps en temps, je le branche sur des petits groupes rock dont il réalise des clichés.

— Les chansons de l’album ont été écrites à Los Angeles ?

— Une seulement J’avais 10 chansons en arrivant. J’en ai supprimé une et j’en ai écrit une autre de remplacement.

— Tu n’avais aucun titre en réserve ?

— Non, aucun. Il y a trois ou quatre ans, j’écrivais 150 chansons par an. Aujourd’hui, je n’ai plus le temps. Ma firme m’avait demandé de sortir un nouvel album et j’ai commencé à écrire les chansons un mois avant l’enregistrement.

— Tu travailles sur commande ?

— Non. Mon contrat prévoit un album par an et je n’avais rien sorti depuis deux ans. Ils ont eu raison de me secouer.

— A l’époque où tu écrivais 150 chansons par an, tu as fait ce que tu chantes dans « Ma chanson leur a pas plu », c’est-à-dire proposer des titres à Cabrel, Capdevielle, Lavilliers…

— Non, j’ai jamais rien écrit pour personne. Un jour, j’ai proposé un texte à Hughes Aufray, mais il l’a refusé. C’est vraiment mon idole, Aufray. S’il n’avait pas été là, je n’aurais jamais chanté.

— Comment perçois-tu son évolution, avec « Goodbye Moorea Tahiti » ?

— C’est pas pire qu’autre chose. Je viens d’entendre le nouveau Capdevielle. Y’a pas de quoi être fier.

— Pourtant le nouvel album de Capdevielle a un son intéressant..,

— C’est pas pour le son qu’on achète un disque, il faut avoir quelque chose à dire, un univers personnel. II l’avait, maintenant, il fait de la musique de discothèque.

— Question de point de vue…
On t’a vu jouer Tarzan dans te film de Sussfeld, « Elle voit des nains partout ». Le cinéma t’intéresse toujours ?

— Plus que jamais ! On ne me propose pas de rôle intéressant. J’attends un truc aussi fort que « Les valseuses ». Pour l’instant, j’écris le scénario d’un polard.

— Tu te sens concerné par les vidéo-clips ?

— Ouais. C’est pratique. On doit pas se déplacer pour faire une télé. Je vais peut-être tourner un vidéo-clip qui sera réalisé par Gainsbourg… Ça te fait rire ?

— Un peu, oui. Tu as vu « Equateur » (le dernier film réalisé par Serge Gainsbourg) ?

— Non, pourquoi ?

— Quand tu l’auras vu, on rira ensemble !!

R. L.


(*) Extrait de la biographie officielle de Renaud

 

Source : L’Avenir du Luxembourg