N° 19, 6 mai 1992
Liège, Namur et Charleroi : Renaud a évité les grandes salles belges style Forest-National qu’il aurait facilement pu remplir et pas qu’une fois ! Ne pas venir à Bruxelles ne l’a pourtant pas empêché de drainer un public toujours aussi nombreux. Ni de livrer trois chouettes concerts, d’ailleurs. Bref, comme toujours, Renaud ne fait rien comme les autres, et il vous dit pourquoi ! |
Don Quichotte
⚫️ 7 Extra : Sans vraiment vouloir réouvrir de débat, ton refus de passer dans certaines émissions télévisées comme Sacré Soirée, par exemple, t’a créé ne… sacrée « réputation » !
– Renaud : « Il y a ceux qui disent qu’ils viennent juste y chanter une chanson et qui refusent de s’y faire interviewer, je trouve ça assez hypocrite… Moi, je revendique le courage et je dis que ces émissions sont à gerber et que je n’ai pas envie de les cautionner par ma présence. Même si, dix fois par jour, je rencontre des gens qui me demandent pourquoi je ne passe plus à la télé. Quand je leur demande s’ils veulent vraiment me voir dans ces émissions à la con, ils reconnaissent qu’elles sont vraiment nulles, mais que si j’y prends part, elles le seraient moins. Ils me culpabilisent à mort, je me dis qu’après tout, je ne fais pas le métier que pour moi, mais bien pour les gens. Mais vis-à-vis d’eux, il faut que je reste honnête avec moi-même. (…)
⚫️ Aujourd’hui, avec un peu de recul, tu vois les choses comment ?
– « OK, j’y ai été un peu fort, mais ça a peut-être fait place à un certain nombre d’artistes à qui j’ai laissé le champs libre. Eux me disaient que j’avais raison de ne pas y aller, et ils faisaient le contraire ! Quant aux médias, ils se sont un peu vengés ; alors que je les traitais dans leur ensemble, ils ont tous réagit en se sentant personnellement attaqués. Moi, quand la soupe n’est pas bonne, je crache dedans ! Et puis, maintenant, je ne me revois pas serrer la main de Foucault, de Sabatier ou de Sébastien… »
« Je préfère perdre 50% de mon public que vendre mon âme ! »
⚫️ Tu as parlé de tout cela avec des collègues ou des potes ?
– « Je n’ai pas beaucoup de copains dans ce métier, mais la plupart de ceux avec qui j’en ai parlé m’ont donné raison. Je veux bien perdre 50% de mon public, mais sans vendre mon âme. »
⚫️ C’est un peu tout cela qui explique trois ans d’absence avant ton retour en studio et sur scène ?
– « J’en avais un peu marre, j’avais l’impression d’avoir été un peu con, un peu comme Don Quichotte luttant contre des moulins à vents. (…) qu’un homme public part en guerre contre les médias, on en prend plein la gueule pour pas un rond. Et comme j’étais un peu désabusé et que l’inspiration ne venait pas aussi facilement que je le voulais, au lieu de mettre deux ans entre deux albums, j’ai ai mis trois et demi. Je pensant aussi peut-être me faire oublier un peu, me disant qu’au moins, quand je reviendrais, on parlerait d’autre chose… »
Entre deux chaises
⚫️ Ce « Marchand De Cailloux » a des côtés plus sombres…
– « Sombre ? Je ne sais pas. Mais c’est vrai que quand j’écris dans ces périodes de haine comme pendant la guerre, et puis que je parle de ma femme ou de ma fille, ça sonnera plutôt désabusé C’est mon rôle, un journaliste ne parle jamais du train qui arrive à l’heure, je ne vais donc pas faire une chansons à la gloire du TGV ! »
⚫️ Il y a aussi ce côté plus gai, avec ces airs irlandais. Comment expliques-tu ces deux atmosphères dans un même album ?
– « D’un côté, je suis amoureux de la chanson française (…), avec une guitare, un accordéon, (…). D’un autre côté, (…) à bientôt 40 balais, à de la musique plus acoustique. Mon spectacle est plus humain, dans ce sens. Et peut-être qu’une certaine érosion de mon public va m’y contraindre encore. »
⚫️ Tu parles de tout cela, y compris de tes problèmes, avec une grand sérénité…
– « Je suis moins en colère, peut-être désabusé. C’est pour cette raison que mon album comporte quelques chansons plus anecdotiques, comme celle sur le Paris-Dakar… »
⚫️ Tu penses parfois arrêter de chanter ?
– « Oui, environ trois fois par jour (rires) ! Je cherche une solution, je sais que je peux ne pas faire de disques pendant 5 ou 8 ans tout en continuant à écrire. Et je sais qu’un jour je craquerai et aurai besoin de faire connaître ce que j’ai écrit.
⚫️ Que feras-tu après cette tournée ?
– « Le bilan des coups que j’aurai encore pris et des jours que j’aurai connues, si j’ai l’impression que j’ai pris plus de coups, qu’ils soient mérités ou non, j’en tirerai les conséquences en me disant que je ne suis pas chanteur, que je suis lâche, que je vais peut-être me reposer sur mes lauriers ou profiter de ma situation monétaire que me permet d’arrêter de travailler pendant un moment, voire changer de métier ou aller faire de la poterie dans le sud de la France jusqu’à ce que je sois (…) »
Rencontre Phil Channel
Source : 7 Extra