21 juillet 1984
Par PIERRE ROBERGE
MONTREAL (PC) –
Comme dirait approximativement le proverbe, les cheveux longs et le blouson, de cuir ou de denim, ne font pas le rocker. Renaud n’accepte donc pas d’emblée l’étiquette de chanteur rock qu’on pourrait lui coller.
A son premier voyage au Québec, l’auteur-compositeur de 32 ans explique qu’il se voit plus volontiers comme un chanteur, racontant des choses de la vie quotidienne en France.
Parmi les sujets de ce peintre de société, les loubards (jeune banlieusard vivant en bande, au comportement asocial, écrit le dictionnaire) devant qui l’avenir est bloqué et pour qui le Paris du tourisme et de la consommation restera inaccessible.
En scène, Renaud ne se dépense pas en exercices physiques à la façon des athlètes du rock. Grattant sa guitare, il joue des airs entraînants ou des ballades qui se ressemblent un peu toutes.
Appréciant le travail de Springsteen, Brassens, Trenet et Dutronc (ce dernier pour le côté narquois), Renaud poursuit à sa manière la tradition de la chanson française « à texte ». Ses personnages disent leur fait à la société rangée, bien-pensante.
Dans Deuxième génération. Slimane (un Nord-Africain) chante « J’aime que la mort dans cette vie de merde. J’aime c’qu’est cassé. J’aime c’qu’est détruit, J’aime surtout tout c’qui vous fait peur. »
Né en France, ce Slimane délinquant serait un étranger s’il retournait au pays de ses ancêtres, aussi paumé qu’en banlieue parisienne.
Pourtant, le public de Renaud n’est pas marginal puisqu’il a vendu là-bas 700.000 exemplaires de son dernier microsillon, Morgane (amoureux) de toi. Son public est de tout âge, de toute classe sociale: «Les travailleurs, les bourgeois, les ‘beauf’, les voyous, les mémés achètent mes disques.»
Pour se faire plaisir, il a fait un disque de chansons d’avant-guerre avec accompagnement d’accordéon (il y a maintenant un accordéoniste parmi ses musiciens) et «il a marché celui-là aussi. Je n’arrive pas à avoir d’échec, c’est scandaleux», affirme-t-il, gentiment crâneur.
Blanche et Beauf
Renaud se reconnaît aussi «gentiment moralisateur» dans son air La Blanche (il s’agit d’héroïne ou cocaïne). L’inspiration, «c’était un copain à moi. Je l’ai vu crever.» Le narrateur de la chanson préfère le rouge et Renaud, personnellement, la bière.
Dans Mon Beauf’, il décrit un type de macho intolérant et vulgaire. Pour bien des Français, l’individu s’adonne à être un beau-frère «J’en connais, dit Renaud. Je les évite.»
Il se contente aussi de décrire les gens et les situations. Le chômage, Renaud y fait seulement allusion car il n’est pas pour avancer des solutions comme un politicien.
«Je suis raciste anti-français», sort-il encore dans une boutade. Au premier abord, le Québec lui semble idyllique. «Je suis ébahi de découvrir votre pays, C’est comme aux USA la première fois», signale le chanteur. «Parce que c’est marrant», il a enregistré son dernier disque en Californie.
A Québec, la semaine dernière, son tout premier spectacle fut annulé par la pluie. Qu’à cela ne tienne, lui et ses musiciens se sont débrouillés pour chanter au piano-bar de leur hôtel, devant 200 personnes. «C’était chouette, ça m’a rappelé mes débuts.»
Le cheminement de Renaud Séchan est un peu à l’image de ses héros. A 16 ans, en 1968. il en eu marre de l‘école «J’étais dégoûté du pouvoir, des horaires, des interdits…»
Créchant (logeant) chez ses parents, il dénicha un boulot aux «horaires sympa» : vendeur dans une librairie du Quartier latin, à Pans Ce qui lui permit de s’offrir sa première moto.
Quant à la guitare, il y avait déjà un moment qu’elle était à son cou. Renaud et son groupe d’amis (Les p’tits Loulous) faisaient de la musique dans une cour pendant que le public faisait la queue pour aller voir Coluche, le comédien et fantaisiste. C’est à ce moment qu’il fut remarqué par le producteur Paul Lederman, et enregistra son premier disque.
Source : Le nouvelliste