Serge Gainsbourg: Une entrevue sous la ceinture

Québec Rock

N° 103, mars 1986

SERGE GAINSBOURG
ENTRE LA BELLE ET LA BÊTE

ENTREVUE DU MOIS

Serge Gainsbourg, alias Gainsbarre: papa gâteau, papa gâteux, pape du pas permis, maître de l’inutile, génie inclassable adoré et méprisé.

EXCLUSIF

PAR ALAIN DENIS ET PATRICK EMIROGLU

Gainsbourg, Gainsbarre, bons bougres bizarres. L’un angoissé, l’autre angoissant. Une interview. Mais qui est qui? Lequel surgira au détour de l’ascenseur? La veille, le héros média s’était dressé devant la rebuffade des chercheurs de nouvelles, entassés dans un studio-télé du vieux Verdun, habitués qu’ils sont au petit business-peuple d’ici, fade et docile. Des egos froissés, des grandes gueules virées. No comment.

À Québec Rock, l’homme s’est amené. Détendu, affable, légèrement en retard après un dîner bien arrosé, Gainsbourg a réfléchi, parlé, posé, rigolé, et préféré le Pernod au Scotch. Il a demandé si on avait de l’eau, des glaçons et du temps. Affirmatif.

Gainsbourg a dégainé et passé la purée… en douceur. Épongez maintenant.

Québec Rock — Le questionnaire de Proust, c’est très classique…

Serge G. — Je connais, mais je veux bien recommencer. Je vais trouver autre chose, j’espère. Allons-y! Quel est pour vous le comble de la misère?

Q.R. — Non, votre vertu favorite?

S.G. — Ah, c’est dans le désordre alors.

Q.R. — Non, c’est dans l’ordre!

S.G. — La vertu ou ma vertu?

Q.R. — La vôtre?

S.G. — Je pense que c’est mon ingénuité.

Q.R. — Votre qualité préférée chez l’homme?

S.G. — La mienne.

Q.R. — Votre qualité préférée chez la femme?

S.G. — La sienne.

Q.R. — Votre occupation préférée?

S.G. — La baise.

Q.R. — Votre principale caractéristique?

S.G. — C’est pas le questionnaire de Proust. C’est le questionnaire de Proust?

Q.R. — Je vous assure. Voulez-vous le lire?

S.G. — Ma principale caractéristique? C’est mon look.

Q.R. — Votre idée du bonheur?

S.G. — J’en n’ai aucune… meep! meep! houba houba houba!!!

Q.R. — Votre animal préféré, c’est le marsupilami?

S.G. — Non pas du tout, ne répondez pas à mes questions.

Q.R. — Question sept!

S.G. — Non! Je n’ai pas répondu à mon animal préféré.

Q.R. — C’est pas grave, c’est pas dans le questionnaire de Proust. Allez-y!

S.G. — Mais ça fait rien. Attends je cherche. Mon animal favori c’est la femme.

Q.R. — Votre idée du malheur?

S.G. — Extrêmement précise.

Q.R. — Votre couleur et votre fleur favorite?

S.G. — C’est très délicat étant donné que ma couleur favorite c’est caca d’oie. Et y a aucune fleur qui correspond à cette couleur…

Q.R. — Bon… si vous n’étiez pas vous-même qui aimeriez-vous être?

S.G. — On a dit vous-même, je dis moi-même, mais en fait je le suis.

Q.R. — Où aimeriez-vous vivre?

S.G. — Dans d’autres au-delàs.

Q.R. — Quels sont vos auteurs favoris en prose?

S.G. — Flaubert, Huysmans, Nabokov…

Q.R. — Romain Gary?

S.G. — Na! Deux secondes! Flaubert, Huysmans, Nabokov… et Picabia.

Q.R. — Quels sont vos poètes favoris?

S.G. — Rimbaud… Rimbaud… et Rimbaud. Ça fait trois.

Q.R. — Vos peintres et compositeurs favoris?

S.G. — Commençons par les peintres. Giotto, Vélasquez… Goya, Delacroix, Géricault, Manet… Nicolas De Stael, Paul Klee et Francis Bacon. Voilà. Passons maintenant aux compositeurs. Scarlatti, Schumann, quelques études de Bach, les études de Chopin, Stravinski, Alban Berg et Schönberg.

Q.R. — Vos héros favoris dans la vie réelle?

S.G. — Salvador Dali et Montgomery Clift.

Q.R. — Vos héroïnes dans la vie réelle?

S.G. — Boy George et Marlon Brando. Vous pouvez ajouter un «e» à Marlon, ça ne me dérange pas…

Q.R. — Vos héros de fiction favoris, ensuite vos héroïnes?

S.G. — Le petit poucet, l’ogre du même conte de Grimm et Tarzan. Mes héroïnes dans la vie fictive maintenant. Betty Boop… et Jane Birkin. Hin hin hin!

Q.R. — Quels sont vos plats et boissons préférés?

S.G. — Alors plat: Irish stew. Boisson: bull shot. C’est tout comme du bloody mary, mais avec du boeuf. Ze beef! Next!

Q.R. — Prénom favori?

S.G. — Lulu. C’est le mien.

Q.R. — Quel est pour vous le défaut le plus grand?

S.G. — La cécité. La cécité intellectuelle.

Q.R. — Quels caractères de l’histoire détestez-vous le plus?

S.G. — Mickey Mouse. Savonarole.

Q.R. — Quel est votre état d’esprit présent?

S.G. — Underground.

Q.R. — Votre devise?

S.G. — Prendre les femmes pour ce qu’elles ne sont pas et les laisser pour ce qu’elles sont. C’est un aphorisme, mais au moins il a cette qualité c’est qu’il est de moi. C’est un avantage.

Q.R. — C’est terminé avec Proust.

S.G. — Non, ce n’est pas le questionnaire de Proust. Y a une question qui manque. Quel est pour vous le comble de la misère? L’absence de papier-cul. Hin hin hin!

Q.R. — Monsieur Gainsbourg, suite et fin?

S.G. — D’accord. Shoot!

Q.R. — On vous invite à un dîner chiant, qu’est-ce que vous faites?

S.G. — Un dîner chien?

Q.R. — Chiant, qui vous ennuie?

S.G. — Chiant! Ah, je fais comme Rimbaud. Je sors ma montre à gousset et je dis: «C’est pas que
j’ai pas le temps, c’est que je m’emmerde!»

Q.R. — Tout homme, toute femme a sa beauté. Comment décrivez-vous la vôtre?

S.G. — La mienne, quoi ma beauté? Hin hin! Je pense qu’elle est dans mon éthique psychologique. C’est quelque part dans ma queue. Parce qu’en tout homme il y a l’animal, la bête, la belle et la bête. Donc la belle serait mon psychisme et la bête ma queue.

Q.R. — Est-ce qu’ils s’entendent bien?

S.G. — Non, c’est incompatible. C’est un duel à mort… mais pour l’instant je joue avec des armes blanches. Mais quand je viendrai aux armes à feu, ça fera mal. J’en suis pas encore là. I’ll drink to
that!

Q.R. — Comment charmez-vous les femmes?

S.G. — En étant moi-même, profondément moi-même.

Q.R. — Le Gainsbourg à la maison est-il plus angoissé que le Gainsbourg public?

S.G. — Le Gainsbourg public est angoissant sometimes, mais le Gainsbourg privé est plus angoissé. Alors si on veut faire une balance entre les deux je pense que le plus important c’est le privé. C’est
l’angoisse de l’homme, pas l’angoisse du showman. Pas du showman, j’en ai rien à foutre. L’autre est très dangereux… il est suicidaire.

Q.R. — Pour un suicidaire, vous vous portez bien…

S.G. — Oui, parce que j’hésite.

Q.R. — Mais ça vous va comme un gant?

S.G. — Depends of quel gant. Un gant de boxe, un gant de peau, de crin.

Q.R. — Qu’est-ce qui vous a fait pleurer la dernière fois?

S.G. — C’est quand j’ai écouté la chanson de Jane, quoi. Parfois j’ai des larmes, j’ai juste un kick. J’ai un mot et je fais un trip slave. Je pleure.

Q.R. — Qu’est-ce que vous entendez par slave?

S.G. — C’est abstrait, c’est très esthétique… et je me complais dans ce genre de drame. Aussi est-ce très constructif pour un créateur.

Q.R. — Quelles sont les pubs que vous avez refusé de faire?

S.G. — Tout ce qui touche à la pisse, à la merde et au désodorisant. C’est la même chose je pense.

Q.R. — Vous allez en faire de nouvelles?

S.G. — Oui, j’en ai deux qui suivent. Il y a une pour les dents, le dentifrice, et une autre pour Dim. Enfin Dim. Putain! Shit! Puis je vais arrêter. La pub ça fait beaucoup de blé, mais en définitive ça ronge
la vie. C’est bien de prendre du blé, d’avoir des budgets à la Coppola… mais c’est mauvais quelque part. On loupe sa vie.

Q.R. — Vous essayez toujours les trucs de vos pubs?

S.G. — J’ai jamais fait de papier-cul! Et pour Dim, ce serait assez difficile… c’est pour les boobs, boobs… les boobs! Hin hin hin! Je pense que je vais tourner soit en Espagne ou en Afrique du Sud pour le soleil et les gonzesses, pour tirer les filles incognito.

Q.R. — D’après un sondage en France, les deux grands héros de la pub selon les patrons d’opinion sont Serge Gainsbourg et Raymond Barre…

S.G. — Hin hin hin! Je pense que je ne serai pas touché par les élections, mais lui si. Peut-être qu’il l’aura dans le cul, mais je ne pense pas. Encore que je suis pas un barriste. Je suis un rocardien qui
n’a d’ailleurs aucune chance. Raymond Barre c’est un… no comment!

Q.R. — On vous invite souvent à des cocktails?

S.G. — Trop souvent et j’y vais pas. Mais j’aime bien recevoir des cartons, je les déchire.

Q.R. — Combien avez-vous de chemises en jeans dans votre garde-robe?

S.G. — Cinq. Vous savez, il suffirait de deux. Une à laver, une propre and so on.

Q.R. — La couverture de Vogue en tux et bien rasé, c’était payant?

S.G. — Je trouve ignoble. C’est pas moi, je me suis fait baiser. Bien baiser et bien profond… et sans plaisir. Parce qu’on peut se faire baiser avec plaisir, mais là je l’ai eu dans le cul. C’est vraiment merdique. Et c’est pas moi! C’est pas moi! Voilà, c’est ça le problème fondamental. Plus jamais, «never more», comme dirait Edgar Poe.

Q.R. — Quelle est l’insulte suprême?

S.G. — Kiss my hairy asshole!

Q.R. — Et le renouveau psychédélique?

S.G. — I don’t care, I don’t care.

Q.R. — Les gens qui vous félicitent en 1986 pour la chanson Je t’aime moi non plus, ça vous fait quoi?

S.G. — Ça me fait un flashback, c’est tout. Encore que c’est une superbe chanson.

Q.R. — Est-ce que vous aimez Renaud?

S.G. — C’est un charmant garçon qui est un ami intime. Il est aussi faux-cul que moi. C’est-à-dire qu’il va aux putes. C’est top secret, mais tu peux le marquer. Hin hin hin! Avec une nuance, c’est que je
vais pas aux putes.

Q.R. — Que pensez-vous de Higelin?

S.G. — Parfois, je ne sais pas penser. Parfois je suis un primate, je suis un primate… et je décortique mes bananes, mes bananes. Donc je ne sais pas. I don’t know.

Q.R. — Quel est le dernier objet que vous avez ajouté à votre collection?

S.G. — Quel est le dernier? Je pense que c’est un petit noir en bronze qui fait un pied de nez. Il a pas plus de deux centimètres. Il est mignon, il est charmant.

Q.R. — Jim Morrison a dit: «L’alcool est un compromis entre le suicide et la capitulation lente.»

S.G. — Je n’ai aucune notion de capitulation. S’il faut aller à la guerre, je meurs. Quant au suicide, je ne pense pas que l’alcool soit une démarche suicidaire. Je ne pense pas vraiment. L’alcool n’est pas une drogue majeure. Je suis allergique à l’idée. Je n’ai pas besoin de ça. Je veux bien me foutre en l’air avec l’alcool, les goudrons et la nicotine, car ce sont des morts lentes et aussi ça ne me déstructure pas la pensée.

Q.R. — Qu’est-ce que c’est alors? Vous avez songé à arrêter de boire?

S.G. — Je suis un être très costaud, très fort. Et pour l’instant, je n’ai aucune allergie physiologique. J’arrêterai peut-être un jour… de baiser.

Q.R. — Ça fait partie de votre mythe?

S.G. — Oui mon petit gars.

Q.R. — Alors, bravo pour le mythe, sauf qu’au Québec vous n’êtes pas trop connu. Ce midi, la serveuse au restaurant ne savait pas qui vous étiez!

S.G. — Qu’est-ce que c’est cette serveuse? Qu’est-ce qu’elle donne, du Coca-Cola?

Q.R. — Non, non, c’est quelqu’un de tout à fait bien.

S.G. — Elle est mignonne?

Q.R. — Elle n’est pas laide.

S.G. — Vous vous l’êtes tirée?

Q.R. — Non.

S.G. — Alors, on est dans le même cas… dans le même caca. I don’t care! Je ne suis pas un conquistador. Je suis mythique en France.

Q.R. — Ça vous suffit?

S.G. — Oui, mythique et déifié avant ma mort. Before my death, c’est pas dégueulasse.

Q.R. — Vous avez un culte?

S.G. — J’ai le culte de l’inutilité.

Q.R. — Après papa reggae et papa pervers, la suite ressemble à quoi?

S.G. — Franchement je ne sais pas. Je pense que je retournerai à New York, retrouver mes lascards. Ils sont sublimes. Je les adore, ils m’adorent. C’est une question d’amour entre nous. On se pète la gueule. Je les baise aux échecs, au backgammon je ne sais pas parce que j’ai jamais appris les règles.

Q.R. — Vous avez des projets avec Charlotte?

S.G. — Oui. Un l.p. et un film. Mais c’est top secret. J’ai déjà le titre du l.p.: Charlotte Forever.

Q.R. — Et avec Jane?

S.G. — Next l.p. Jane Forever, c’est pas le titre, that’s a way of life baby. Je suis un inconditionnel de Jane. Hin hin hin!

Q.R. — C’est difficile d’être à la fois avec et sans Jane?

S.G. — C’est extrêmement éprouvant, mais quelque part c’est sublime.

Q.R. — Avez-vous vu la quéquette de Stallone dans Actuel?

S.G. — Il en a une? Hin hin hin. Elle doit être bien musclée celle-là. Hin hin hin!

Q.R. — Quel est votre seul tabou?

S.G. — L’inceste.

Q.R. — L’homosexualité?

S.G. — Je connais. J’ai pratiqué aussi.

Q.R. — Ça vous a plu?

S.G. — J’ai été loupé. It’s not my fault. C’est un scoop vous savez. Hin hin hin!

  

Source : Québec Rock