Québec, dimanche 5 juin 1988
L’Opération Enfant Soleil
♦ Avant même que le téléthon Opération Enfant Soleil ne débute hier soir, les deux coordonnateurs de l’événement, Jean-Denis Dubois et Daniel Giroux, du CHUL, avaient mis chacun plus de 2,000 heures de leur temps dans son organisation.
par Andrée ROY
Une histoire qu’ils voudraient bien reprendre l’an prochain, quitte à y engager encore autant d’heures. Pour l’heure, la Fondation du CHUL n’a pas encore indiqué son désir de renouveler l’expérience.
« Mais ça leur serait bien difficile de dire non à une affaire qui marche fort, n’est-ce pas? » souligne, sourire en coin, Jean-Denis Dubois.
Et « l’affaire » semble marcher on ne peut mieux, grâce notamment à la nouvelle approche de marketing mise de l’avant par ce premier téléthon Opération Enfant Soleil. Une approche imitée des Américains, notamment du Children’s Miracle Network Telethon auquel le Centre hospitalier de l’université Laval s’est joint cette année.
Pierre Villa, président des Croustilles Yum Yum, en témoigne : « On ne connait pas ça au Québec. Ici, quand on organise un téléthon et qu’on part en chasse des commandites, on te dit, à toutes fins utiles : « C’est une bonne cause. Donne ton chèque puis signe juste ton nom. Pas besoin du nom de ton entreprise »… puis débarrasse! L’approche américaine c’est de t’offrir, contre ton argent, les moyens pour que tu puisses faire ta propre publicité avec la bonne cause que tu as commanditée ».
Photos Yvon Mongrain |
« Causons marketing… »
Dans le dépliant présente aux entreprises, le message est en effet clair, susceptible de tenter le commerçant comme le philanthrope. En voici des extraits:
« Vous aussi joignez le groupe des nouveaux performants du Québec en adoptant la cause marketing de l’année: l’Opération Enfant Soleil… une bonne cause pour de bons résultats.
« Votre contribution: un placement publicitaire: L’investissement dans l’Opération Enfant Soleil est un coup de maître en plus d’augmenter la visibilité de votre entreprise, vous lui donnez un meilleur positionnement face à la concurrence en l’associant à la notoriété de la cause des enfants malades.
« Impliquez vos employés dans cette mission:
Vous pouvez compter sur l’attirance émotionnelle de vos employés envers la santé des enfants.
Les retombées d’une « publicité sympathique » du genre sont effectivement énormes. Le mouvement Desjardins, par exemple, pourrait difficilement s’acheter la crédibilité et l’« exposure » qu’il obtient depuis que la Fédération des caisses populaires de Québec et 290 de ses 322 caisses affiliées ont entrepris de recueillir $1 million pour donner au CHUL son urgence pédiatrique.
En enrôlant ses membres et ses employés dans la levée de fonds, Desjardins a en plus marqué profondément dans le milieu une image d’engagement social, de souci communautaire contre laquelle ses concurrentes les banques ne peuvent rien, sauf verdir de jalousie.
Chez Yum Yum, on s’est embarqué ainsi dans la promotion: l’utilisation sur les sacs de croustilles du logo de l’Opération Enfant Soleil contre la remise à la Fondation du CHUL, section pédiatrie, d’une ristourne sur chaque sac vendu. Les Tourbières Premier ont profité d’une promotion semblable, sauf que dans le cas de cette entreprise qui vend de la tourbe au Canada et aux Etats-Unis, elle pourra ajouter, sur ses sacs, le logo de Disneyland et du Children’s Miracle Network Telethon, contre l’achat d’une commandite qui paraîtra sur tout le réseau nord-américain pendant le téléthon.
La cause des enfants malades serait actuellement un des « meilleurs vendeurs » en publicité sympathique, admet Jean-Denis Dubois.
« Pas trop spécifique. comme la dystrophie musculaire, par exemple. Mais assez générale pour inclure toutes les bonnes causes de levées de fonds comme fibrose kystique, leucémie, paralysie cérébrale… Qui n’a pas d’enfants au Québec ? Qui peut dire que son enfant n’aura pas besoin d’être admis d’urgence à l’hôpital ou nécessiter des soins spécialisés ? » poursuit Dubois, qui dit s’être engagé dans cette cause parce que lorsque son propre enfant a été sérieusement malade, il aurait souhaité avoir à Québec un centre pédiatrique aussi spécialise que Sainte-Justine à Montréal.
La justesse de la cause et la façon dont le tandem Dubois-Giroux et leur équipé ont su l’exploiter leur auront permis de se payer pour moins de $200,000 un téléthon qui en vaudrait trois et quatre fois plus, estime Daniel Giroux. Ainsi le Téléthon des Etoiles, qui poursuit les mêmes buts au profit des deux hôpitaux pour enfants de Montréal, coûte près d’un million de dollars à produire, pour en rapporter trois.
Le téléthon des enfants malades du CHUL a pour sa part réussi à se faire donner 22 heures de temps d’antenne par le réseau Pathonic, en plus du temps télévisé pour faire la promotion de l’événement, une partie des services techniques requis pour la mise en ondes par satellite du show transmis de Californie au Québec, et une facture moindre que la normale pour la production du téléthon aux Galeries de la Capitale.
Une commandite d’environ $125,000, évalue Daniel Giroux, qui s’ajoute au cadeau des étudiants en menuiserie de l’école Wilbrod-Bhérer. Ceux-ci ont mis un mois à construire le décor du téléthon, comme travail de fin d’année scolaire, et l’ont donné à l’Opération Enfant Soleil. La cinquantaine d’artistes et de groupes qui participeront aux 22 heures du téléthon le feront aussi bénévolement.
Les seuls salaires payés, révèle Giroux, seront ceux de deux secrétaires du CHUL retenues pour l’organisation du téléthon, et l’orchestre de Gilles Ouellet aux Galeries de la Capitale. ●
Source : Le Soleil